La Musique engagée

Quel regard porte l’artiste sur les conflits armés du XXe siècle ?

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Introduction

L’art est porteur d’enjeux esthétiques et politiques. Quelles que soit la nature de leurs ambitions, les artistes sont donc amenés à se positionner face au pouvoir politique de leur temps, qu’ils choisissent de le servir, de le combattre ou de se montrer indifférent. Dans tous les domaines, les artistes, qui ont vécu ou ont été informés de l’horreur de la guerre, ont transmis dans leurs œuvres leurs réactions, leurs sentiments, leurs émotions et leur message. Ainsi, l’œuvre d’art permet à l’artiste de figer ce que la « mémoire des souvenirs » ne peut conserver intact et participer alors au devoir de mémoire, ainsi que de dénoncer et critiquer, d’être alors dans un acte d’engagement.

Different Trains (1988) de Steve Reich

Steve Reich: Phase to Face

Steve Reich - Differents Trains

Steve Reich, né à New York en 1936, est un compositeur américain d’origine juive. Il est considéré comme l’un des pionniers de la musique minimaliste. Il développe un procédé appelé le phasing (déphasage).

Quelques-unes de ses œuvres : Clapping music (1972), City life (1995…       
Autres compositeurs de musique minimaliste : John Adams, Philip Glass…

Different Trains (1988)

Different Trains est une œuvre de musique mixte pour quatuor à cordes et bande magnétique composée en 1988.

Procédés de composition

Steve Reich explique la façon dont il a procédé pour préparer la bande magnétique :

  1. J’ai enregistré ma gouvernante Virginia, maintenant âgée de plus de soixante-dix ans, qui évoque nos voyages en train ;
  2. J’ai enregistré un ancien employé des wagons-lits sur la ligne New York-Los Angeles, maintenant à la retraite et âgé de plus de quatre-vingt ans : M. Lawrence Davis, qui raconte sa vie ;
  3. J’ai rassemblé des enregistrements de survivants de l’Holocauste : Rachella, Paul et Rachel, tous à peu près de mon âge et vivant aujourd’hui en Amérique, qui parlent de leurs expériences ;
  4. J’ai rassemblé des sons enregistrés de trains américains et européens des années 1930, 1940.

Steve Reich a donc fait le choix d’utiliser des enregistrements « authentiques » ; l’œuvre prend alors la dimension d’un témoignage historique.

Dans cette œuvre de musique mixte, le matériau musical utilisé est le suivant :

  • Des sons concrets enregistrés (sons de sirène, bruits de trains) ;
  • Des extraits enregistrés de voix parlée ;
  • Des ostinati des cordes avec répétition et déphasage (enregistrés) ;
  • Une utilisation du discours parlé comme matériau musical : reproduction/imitation par les instruments du quatuor de l’intonation des fragments de discours.

Vocabulaire

Quatuor :
Œuvre musicale pour quatre musiciens.

Quatuor à cordes :       
Deux violons, un alto, un violoncelle.

Musique minimaliste :  
Œuvre utilisant une pulsation et un minimum de matériau : de courts motifs répétés inlassablement et évoluant lentement. Le mouvement de l’art minimaliste est apparu aux Etats-Unis dans les années 1960.

Musique mixte :
Œuvre qui superpose une ou plusieurs parties instrumentales (ou vocales), exécutées sur scène en direct, à une musique sur support (sons enregistrés). Il y a alors mixité des sources. Les premières musiques mixtes apparaissent dans les années 1950 avec l’évènement de l’enregistrement.

Ostinato :
Répétition obstinée (en boucle) d’un motif musical – rythmique ou mélodique.

Phasing :
Procédé proche du canon, qui consiste en une répétition obstinée d’un court motif par plusieurs musiciens (ou bandes magnétiques) en insérant un décalage temporel – décalage qui augmente et diminue au cours de la pièce.           

Structure de l’œuvre

Different Trains comprend trois mouvements :

PART I : AMERICA – Before the war
PART II : EUROPE – During the war
PART III : After the war

PART I : AMERICA – Before the war

Ce premier mouvement représente le train du voyage, de l’insouciance, du bonheur de prendre le train pour se déplacer. Les voix évoquent le trajet Chicago – New-York – Los Angeles. Ce mouvement est consrtuit sur un ostinato évolutif (imitation du train) auquel se superpose un dialogue enregistré (sample) voix-cordes, sur un mode répétitif, des sons de sirènes venant ponctuer le discours.

Ostinato sur deux notes, joué par les cordes (imitation du train)

La voix parlée est « musicalisée » : une mélodie est créée au plus proche de cette voix. ?

PART II : EUROPE – During the war

Ce mouvement représente le train de la terreur, de la mort, d’un aller sans retour ; c’est le train qui emmène les déportés vers les camps de concentration.

Plusieurs cellules répétitives se superposent, s’entrecroisent. Les ostinati des cordes imitent le bruit du train, qui change à chaque phrase. Un instrument imite l’intonation de la voix à chaque phrase et la répète en écho. A partir de « don’t breathe », le tempo s’accélère, la tension monte, on entend les sirènes du train. La répétition et les regsitres aigus produisent un caractère obsessionnel et angoissant. Après un ralentissement, le mouvement fini dans le néant, évoquant la disparition des corps dans les fours crématoires « Il y avait de la fumée ».

Analyse

Relever les éléments musicaux évoquant la guerre et identifier les effets alors produits.

Rythme

Tempo

Effets produits

Effets produits

Types de sons

Un son particulier

Effets produits

Effets produits

Hauteur des notes

Nombre de mélodie

Effets produits

Effets produits

PART III : After the war

Ce mouvement représente le train de l’espoir retrouvé, lors de l’immigration de certains juifs aux USA.

Le discours musical se densifie progressivement par superposition de cellules répétitives avant un nouveau dialogue « voix-cordes » ; là encore, un ostinato évoque le train. De nombreuses ruptures du discours sont produis par des changements de tempo, d’ostinato, de cellules répétitives et de registre qui illustrent les souvenirs relatifs à la fin de la guerre.

Projet de création

En suivant les conseils de création musicale de PV NOVA, former un groupe de deux à quatre et créer un texte engagé, sur un sujet choisi. Le texte devra être mis en forme, de préférence dactylographié, avec le nom des auteurs. Il devra être accompagné d’une courte notice expliquant le choix du sujet. Le chant ainsi créé sera présenté devant les autres groupes. La qualité du texte et de l’investissement de chacun sera évaluée.

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Pratique vocale

The Death of Klinghoffer - John Adams

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Article « Un livret d’opéra controversé »

Voici un événement qui bien au-delà de son aspect musical bouleversera la scène new-yorkaise lors de sa première au MET. Il s’agit de l’opéra de John Adams La mort de Klinghoffer créé en 1991 à Bruxelles au théâtre de la Monnaie et qui sera joué pour la première fois sur la scène du MET à New-York en ce mois d’octobre 2014.

L’œuvre dès l’origine avait suscité la controverse. Commandée à John Adams par la Brooklyn Academy of Music de New York, puis montée au théâtre de la Monnaie de Bruxelles avec la participation de l’Opéra de Lyon, son livret écrit par Alice Goodman est établi sur un des tragiques événements qui avaient fait l’actualité en 1985 : l’assassinat d’un américain paraplégique, Léon Klinghoffer, alors en croisière avec son épouse en Méditerranée sur l’Achille Lauro, tué et jeté à la mer parce que juif par des terroristes palestiniens du FPLP qui avaient pris l’équipage et les passagers du navire en otages.

John Adams a souvent nourri son imaginaire créatif en ayant recours à des événements de notre temps qui se sont inscrits à un titre ou à un autre dans l’Histoire. Il avait notamment déjà écrit un Nixon In China en 1984-1985 suivi donc de La mort de Klinghoffer en 1990-1991, puis en 2005 Doctor Atomic, qui raconte l’histoire de la mise au point de la bombe atomique. John Adams a obtenu en 2003 le Prix Pulitzer en musique pour “On the Transmigration of Souls” œuvre commandée par le New York Philharmonic pour commémorer l’Attentat du 11 septembre 2001. Faire le choix pour un artiste d’un sujet au cœur de l’actualité du moment est une constante de l’histoire des arts et de la pensée. Depuis Eschyle qui écrivit Les Perses, jusqu’à Goya, Delacroix, Picasso bien entendu l’on pourrait multiplier les noms et les titres des œuvres, et la littérature tout particulièrement, tant la liste serait longue. L’opéra au demeurant s’est très souvent nourri de sujets historiques et politiques. Sous la couverture d’Aïda, Verdi parle plus de la lutte pour la liberté du peuple italien que des esclaves soumis dans l’Egypte ancienne.

La musique de John Adams « réactivant le thématisme et l’harmonie issus du post-romantisme, s’appropriant le rythme des musiques traditionnelles ou l’énergie euphorisante du jazz et du rock, sa musique, tout autant imprégnée de l’esprit expérimental californien des seventies, cherche à rassembler les influences multiples traversant la culture américaine, sous une signature identifiable et en renouvelant constamment les voies d’un langage de synthèse. » (Ircam-Georges Pompidou). On ne peut mieux dire !

Dans cette histoire de New-York, dans cette controverse qui a mis aux prises au printemps dernier la famille de la victime qui n’accepte pas que l’œuvre puisse être diffusée en direct en multivision dans le monde entier au risque d’alimenter la haine antisémite. Ce n’est pas de musique qu’il est question, mais d’un manichéisme de façade qui met à parité la victime et le bourreau et font des terroristes des parangons de vertu. […] Au-delà de l’anecdote au demeurant très « lyrique » du petit monde de l’opéra, nous comprenons profondément la souffrance de la famille de Léon Klinghoffer, qui n’a jamais pu faire son deuil.

L’approche dramatique inscrite dans ce livret est-elle de la plus fine eau, de la plus fine psychologie, rien n’est moins sûr ? Mettre au même niveau, établir une parité entre l’assassinat abominable d’un homme de 69 ans paralysé, et le conflit entre israéliens et palestiniens, procède en effet au mieux de la sclérose intellectuelle, au pire de la plus parfaite mauvaise foi et d’une volonté de manipulation et de pure désinformation. Vouloir renverser les rôles et faire des criminels des agneaux en souffrance, c’est ne plus rien comprendre à la psychanalyse. Il n’est nullement question de parler d’antisémitisme à travers cet opéra, mais la focale utilisée contribue à faire perdre le sens aux choses et aux mots, dérationalise. Vouloir par un livret d’opéra remplacer l’inextricable débat diplomatique qui oppose deux camps et bien plus encore, depuis plus d’un demi-siècle par le seul effet magique d’un souffle fut-il lyrique, procède quelque peu de la plus grande naïveté et loin d’apaiser et d’apporter des solutions contribue à son tour à exciter les passions, fussent-elle de scènes.

Mais parlons de musique et soyons rassurés : la beauté de la musique est intacte, la pureté minimaliste de sa forme, la puissance émotionnelle de ses chœurs touchent. Pas sûr au demeurant qu’à New-York depuis les événements tragiques du 9/11, et dans les échos des combats effrayants qui martyrisent en ce moment même les peuples du Proche-Orient, des terrifiantes menaces qui planent et des éclairs de haine qui fusent, on soit en mesure d’accepter une création artistique qui prétend à la morale au prétexte de l’indignation orchestrée.

Pierre-Alain Lévy, 16/10/2014

La Raison dans l'Histoire

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Né en 17 à Leidenstadt

Et si j'étais né en 17 à Leidenstadt

Sur les ruines d'un champ de bataille

Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens

Si j'avais été allemand?

Bercé d'humiliation, de haine et d'ignorance

Nourri de rêves de revanche

Aurais-je été de ces improbables consciences

Larmes au milieu d'un torrent

Si j'avais grandi dans les docklands de Belfast

Soldat d'une foi, d'une caste

Aurais-je eu la force envers et contre les miens

De trahir, tendre une main

Si j'étais née blanche et riche à Johannesburg

Entre le pouvoir et la peur

Aurais-je entendu ces cris portés par le vent

Rien ne sera comme avant

On saura jamais c'qu'on a vraiment dans nos ventres

Cachés derrière nos apparences

L'âme d'un brave ou d'un complice ou d'un bourreau?

Ou le pire ou le plus beau?

Serions-nous de ceux qui résistent ou bien les moutons d'un troupeau?

S'il fallait plus que des mots?

Si j'étais né en 17 à Leidenstadt

Sur les ruines d'un champ de bataille

Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens

Si j'avais été allemand?

Et qu'on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps

D'avoir à choisir un camp

L’homme est-il responsable de son action ? Le mal est-il un choix conscient ou le fruit de l’ignorance ?
Si nous étions nés dans une autre famille, aurions-nous la même personnalité, les mêmes opinions ?

En 1963, la philosophe allemande Hannah Arendt est envoyée par le journal le New Yorker suivre le procès du criminel nazi Adolf Eichmann. En revenant de son reportage, elle soutient que les hommes coupables d’actes immondes et atroces ne ressemblent pas aux monstres que l’on peut imaginer, mais au contraire ce sont des hommes ordinaires. Comment alors un homme ordinaire peut-il devenir un bourreau ? Sa réponse est simple : il suffit de ne pas penser. Eichmann appliquait les ordres sans jamais questionner leur légitimité. Aussi, nous sommes tous potentiellement des bourreaux si nous n’actualisons pas notre faculté de penser.

"Les actes étaient monstrueux, mais le responsable était tout à fait ordinaire, comme tout le monde, ni démoniaque ni monstrueux. [...] La seule caractéristique qu'on décelait dans sa conduite était de nature entièrement négative : ce n'était pas de la stupidité, mais un manque de pensée."

Ecrite en 2003 par le compositeur et interprète Jean-Jacques Goldman, la chanson « Né en 17 à Leidenstadt » évoque tour à tour le nazisme, le conflit irlandais et l’apartheid. Les paroles invitent chacun à l’humilité et à la suspension de son jugement sur sa nature propre. Aurions-nous été, nous aussi, emportés par l’histoire dans ses heures sombres ? Sommes-nous aujourd’hui emportés dans l’histoire de notre temps ? Ces paroles s’offrent à un questionnement sur les racines du mal et mettent également en évidence la dimension de passivité de l’homme face au torrent de l’histoire.

« Né en 17 à Leidenstadt » est la traduction, sous forme de chanson, de la thèse de Hannah Arendt. S’appuyant sur les origines de son trio Fredericks-Goldman-Jones, Goldman évoque trois moments tragiques de l’histoire où des hommes eurent « à choisir un camp » et connurent la violence, la haine et le mal. A tous ceux qui jugent les hommes  a posteriori, depuis le confort de leur vie en temps de paix et de quiétude, Goldman adresse une leçon d’humilité et invite à reconnaître qu’au fond « On ne saura jamais ce qu’on a vraiment dans nos ventre. […] Serions-nous de ceux qui résistent ou bien les moutons d’un troupeau ? » Pour Goldman et Arendt, le bourreau, ce n’est pas un monstre ; c’est potentiellement chacun de nous, dans un certain contexte. Le mal est donc le fait d’hommes ordinaires. […] Le mal est rendu possible par l’absence de pensée : « Aurais-je été de ces improbables consciences ? » Ainsi, Goldman comme Arendt voient dans l’absence de conscience, de pensée critique, le terreau dans lequel le mal plonge ses racines. [2]


[1] ARENDT Hannah, La Vie de l’esprit, I : La Pensée, PUF, 2013, p.18-19.

[2] CHAILLAN Marianne, La playlist des philosophes, Le Passeur, 2018, p.196 et p.202-205.