Jeudi 26 octobre 2023
Introduction
La visite d’aujourd’hui me porte à débuter par l’exposition temporaire dont j’ai vu plusieurs fois la réclame. Il s’agit du Trésor de Notre-Dame. Je ne réussis d’abord pas à bien comprendre où elle se situe, et me rend précipitamment au premier étage de l’aile Sully pour trouver un endroit relativement calme, au palier de l’escalier Henri IV. C’est justement à ce moment-ci qu’un agent du Louvres (le pauvre…) se pose avec son téléphone à côté de moi. L’occasion en est que trop belle, je le dérange hardiment pour lui demander où se situe l’exposition. « Galerie Richelieu » qu’il me répond. Je fais mine de connaître ; je connais le Louvre comme ma poche après plus d’une vingtaine de visite ! Erreur… Je ne me souviens pas d’une galerie Richelieu, si ce n’est qu’elle peut être dans l’aile Richelieu – qui est ma préférée. J’y descend donc et accoste, non loin de la cour Marly, un autre agent qui m’indique le passage. Celui-ci est fermé avec une dame devant ; je crois qu’elle informe justement d’autres visiteurs de l’entrée. Pour ne pas la déranger une nouvelle fois, je suis ses recommandations et sors dans le grand hall sous la pyramide. Il ne me faut que quelques secondes pour me rendre compte de ma bêtise : l’entrée est à l’opposé, dans la cour Marly même. Je m’y rends donc. Quelle aventure pour découvrir des salles que justement je ne connaissais pas, réservées aux expositions temporaires.
Le Trésor de Notre-Dame de Paris – Galerie Richelieu
Je visite donc cette exposition temporaire. Je lis tous les panneaux, de façon toujours très consciencieuse, mais je ne suis que trop peu charmé par ce qui est proposé. Comme je l'ai bien compris, le trésor a été saisie puis fondu lors de la Révolution française. Puis au XIXe siècle, bien que Napoléon Ier et Louis XVIII soient très généreux et offrirent énormément d'artefacts, la révolution de Juillet a mis à sac par deux fois le trésor. Il ne reste donc plus grand-chose. Pourtant, de nouveaux projets ont ensuite été soumis à deux architectes, Jean-Baptiste Lassus et Eugène Viollet-Le-Duc. C'est justement à partir de dessins de ce dernier qu’ont été réalisé des reliquaires et autres artefacts pseudo médiévaux. On est donc peu séduit par les œuvres présentées, sauf quelques ouvrages vieux de plusieurs siècles, qui appartiennent à la Bibliothèque nationale de France. Ce sont de très beaux ouvrages qu'on ne peut malheureusement pas manipuler et dont il est difficile à observer à cause de la vitre de verre, protectrice mais obstacle pour l’appréciation de ces dessins très colorés, chefs-d’œuvre incroyables qui ont traversé les âges alors que certains traits noirs ont carrément disparu… Il n'y a cependant peut-être qu'un impressionnant reliquaire de la Sainte Couronne d'épines (sans relique) et une Vierge à l'enfant dite de Charles X, œuvre de Charles-Nicolas Odiot, en argent. Œuvres qui datent donc du XIXe siècle qui ne semble pas toutes dignes de mon intérêt.
Je ne sais que faire de mon manteau. J’aurais peut-être dû le déposer aux vestiaires. J'ai chaud. J'ai chaud comme souvent dans un musée en hiver (nous ne sommes qu’en octobre, je l’admets…) où les salles sont bien chauffées. Heureusement, aujourd'hui jeudi, jour de semaine, et peut-être une exposition qui intéresse peu les visiteurs étrangers, il n'y a pas trop de monde. Pourtant, je suis content d’en sortir et de me retrouver dans la cour Marly. C’est une véritable respiration. C’est décidé, je me dirige au 2ème étage.
François 1er, roi de France / Jean Clouet – salle 822
Je passe rapidement par les peintures médiévales. Je les trouve terriblement tristes. Alors je passe rapidement bien que j’y reconnaisse un savoir-faire des symboles, des subtilités dans la technique de ces portraits et de ses grands tableaux religieux. Au détour d’un couloir, je rentre dans une petite salle sombre et m'arrête devant le portrait de François 1er, roi de France. Il est énorme. Il déborde du cadre. J'entends une visiteuse qui dit à sa fille « Oh, ils étaient habillés comme des clowns ! », tout en s’émerveillant des détails des peintures. Elle rajoute « ce devait être chiant à peindre… » Je m'émerveille de leur propre émerveillement, spontané, un rien naïf mais sincères. Je me désole toutefois de cette admiration si expéditive. François semble me regarder avec malice. Une sorte de complicité nous lie dans cette salle où il fait trop chaud et trop noir. C'est que le roi de France a de petits yeux et une petite bouche rieurs. Il est certes imposant, il ne semble pas si intimidant. Il a l'air sympa celui-là ! Le poids de ses bijoux et de son vêtement ne le dérange pas. Le visage n'est pas vraiment beau mais je m'attarde sur ses mains : les doigts sont longs, la peau paraît douce. Ce sont des mains fines et élégantes qui trahissent une absence totale de travail, du moins manuel.
Diogène jetant son écuelle / Nicolas Poussin – salle 825
Je ne sais pas bien où je veux aller. Encore une fois, je me laisse porter par mes pas. Mon désir s’exprime sans que je ne veuille vraiment l’écouter. Il me guide et je me soumets sans discuter. Le l’entends pourtant réclamer les peintures françaises. Je fuis donc les peintures de l’école du Nord et perçois un paysage. Le tableau est grand. Mon œil est immédiatement attiré par ce grand et beau bâtiment, au fond derrière. La blancheur de sa pierre est frappée par le soleil et amplifie sa beauté. Ce doit être un beau palais, avec de superbes et luxueux salons et chambres d’apparat. Mais il est loin, cet édifice idéalisé. Il y a entre lui et moi une rivière. Elle est calme et l’eau doit y être fraîche et douce. Je m’imagine y tremper mes pieds et mes mains, me laissant caresser cette surface transparente. Cette nature, libre et verdoyante, m’est apaisante. Les arbres et les buissons m’offrent une ombre salutaire. L’air est pur. L’eau ruisselle tendrement, un peu plus loin, et le vent fait bruisser les feuilles qui s’agitent légèrement.
Je viens de m’émerveiller d’un palais luxueux inaccessible mais je me rends compte que le bonheur m’est plus proche encore. Cette nature, elle est juste là. Je suis en elle. Je n’ai finalement besoin de rien d’autre… Vraiment !? C’est là que la rencontre se fait et devient révélation : voici que juste devant moins, dans le coin inférieur droit, se tient Diogène. Il ne me fait pas la leçon. C’est lui qui en reçoit une : il observe un jeune homme qui boit à la rivière en s’aidant de sa seule main. Il découvre alors que son seul bien, une écuelle, lui est complétement inutile. Le voilà alors qui la jette. On ne peut plus grand prophète du minimalisme… Certes, le philosophe est un peu fou. Complétement même ! Mais je m’aperçois qu’au bord du fleuve (ou est-ce un lac ?), il y a un groupe de baigneurs. Ils s’amusent. Qu’on me laisse donc les rejoindre ! Profiter de l’eau entre amis, n’est-ce pas ça, le bonheur ?
Le Triomphe de Flore / Nicolas Poussin – salle 826
Je continue mon chemin et me retrouve seul devant un autre tableau de Nicolas Poussin : Le Triomphe de Flore. Ce n’est sans doute pas le plus grand chef-d’œuvre du peintre. Pourtant, il m’attire. Les couleurs se sont assombries avec le temps. C’est, je crois, le couple au premier plan qui m’intriguent. Malgré la multitude de divinités qui se pressent devant eux (Flore, Ajax, Narcisse, Amours, Vénus et Adonis…), ces deux inconnus son nonchalamment allongés. La lumière vient les éclairer de dos, empêchant de bien pouvoir les distinguer. Cependant, ils dégagent une beauté, une jeunesse, une liberté, un amour… des attributs que, sans aucun doute, je jalouse en cet instant présent. Tous proches, Mars et Vénus reprennent cette position semi-allongée dans un autre tableau, positionné en hauteur et ainsi presque invisible.
Narcisse aussi est allongé, un peu plus loin. Mais Echo n’est pas dans ses bras. Elle, au fond, cache difficilement sa tristesse. Narcisse, lui, est mort devant sa propre image. Le visage est encore beau, même inerte. Mais son corps ne donne envie de rien…
Adonis mort, avec son chien / Laurent de La Hyre – salle 828
Là encore, je m’arrête devant une beauté fatale. La posture d’Adonis mort ne rend pas hommage à sa beauté. Son corps paraît flasque. Sans vie, ses muscles n’ont plus aucune vivacité. Pourtant, on devine encore les traits juvéniles de son visage. La beauté subsiste. Elle n’abandonne pas si facilement son hôte. Et sa chevelure, superbement bouclée, brille toujours de reflets cuivrés, effet naturel de sa sublime teinte blond vénitien. A ses côtés, son chien fidèle pleure son maître. On se mettrait aussi à pleurer cette jeunesse gâchée. On voudrait caresser ce visage, le raviver et le ramener à la vie. Que cette beauté ne se périsse jamais. Et on se met à penser que c’est justement ainsi, immortalisé par la peinture par sa propre mort, que le héros restera à jamais si beau. La Hyre l’a saisi tant qu’il en était encore temps. Plus tôt, le tableau n’aurait pas d’intérêt ; plus tard, il n’en aurait plus la beauté.
Quand les visiteurs évacuent…
Les visiteurs se font rares. Le musée ferme dans 20 minutes. Il est 5 minutes avant l’évacuation des salles. Je regarde, du haut du 2ème étage, la cour Marly se vider. Un dessinateur s’y attarde. Quelques visiteurs aussi, errent. Ils ne regardent plus vraiment les œuvres. Ils veulent simplement gouter à ce musée dépeuplé et connaître un semblant de privilège. On erre pour le plaisir d’être le (presque) dernier. Un jeune couple, derrière moi, s’assoit dans un enfoncement de fenêtre pour bavarder. Nous ne sommes pas si seuls à braver cette annonce d’évacuation, de tenter de ne partir que si l’on nous y oblige. De jeunes enfants d’une famille courent pour voir encore une salle ; devant le portrait de Jean II le Bon, ils ne comprennent sans doute pas grand-chose. C’est intriguant, la fermeture du plus grand musée du monde. Il n’y a rien de très extraordinaire, et pourtant… Il y a dans l’air comme un soupçon d’irréel.
Je retrouve vite la foule sous la pyramide de verre. Tous, nous allons dans la même direction, dans le grand couloir qui mène au centre commercial du Carrousel du Louvre. Cela n’a pas le même charme pourtant ce flot lent et dense me rappelle la sublime scène finale de L’Arche russe d’Alexandre Sokourov dans lequel la centaine de convives d’un bal s’en vont lentement descendre le magnifique escalier du Jourdain du Palais d’hiver. C’est là qu’est un autre de plus grands musées du monde, le musée de l’Ermitage, dont je garde un précieux souvenir. Quoi de plus beau que de repenser à cette élégance à la française dans ce que la Russie fait de plus beau ?