Radicale liberté de Double Jeu au Moscow Forum Festival
Pour le 4ème jour du Moscow Forum Festival organisé par le prestigieux Conservatoire d’État de Moscou, le Centre de musique électroacoustique invite l’ensemble français Flashback pour présenter son sa
Ce jeudi 23 octobre 2019, la mythique Salle des compositeurs du Conservatoire de Moscou accueille le violoniste Diego Tosi, talentueux musicien, soliste à l’Ensemble intercontemporain et de l’ensemble Flashback. Il interprète ce soir trois œuvres, dont deux lui sont spécialement dédiées. Ce triptyque, dont les abstractions musicales des deux compositeurs contemporains Jesper Nordin, Alexander Vert et José Miguel Fernandez peuvent dérouter les moins initiés, est illustré par les projections vidéos de l’artiste visuel Thomas Pénanguer. Si ces images sont également souvent abstraites, elles n’en sont pas moins évocatrices et, grâce à la projection sur un tulle transparent entre l’interprète et le public, n’est pas avare en effets spectaculaires.
Dans la première pièce Calm like a bomb de Jesper Nordin, le spectateur ressent bien la tension montante, malgré le calme du jeu poétique de Diego Tosi et des brumes visuelles. Ces dernières accompagnent la musique qui commence à rougir, à prendre comme feu, prêt à exploser violemment. La pièce centrale Double Jeu d’Alexander Vert et José Miguel Fernandez est moins abstraite, jouant très justement avec la personnalité de l’interprète et de son instrument, qui lui est tel un double de lui-même. Il lui arrive même de jouer avec plusieurs de ses doubles, projetés sur le tulle de manière à ce qu’on ne sache plus distinguer le vrai musicien de ses doubles. Enfin, Ashes in the fall de Jesper Nordin semble être la suite de Calm like a bomb où, sauf quelques souvenirs de mélodies – notamment des fragments de la Hatikvah –, il ne reste que désolation et incompréhension.
Nombreux sont les spectateurs qui manifestent leur admiration quant à la prestation du violoniste et également au travail étroit entre les musiques et les images. Bien que certains d’entre eux, lors de la discussion qui suit le concert avec le compositeur Alexander Vert, partagent leur doute quant à la représentation de Double Jeu pour illustrer le thème du festival « Free radicals », la cohérence apparaît évidente avec les propos du compositeurs. Il faut d’abord rappeler la définition de la radicalité – ce qui fut le sujet animé du débat de la veille –, à savoir de ce qui se rattache aux principes et aux causes profondes. Un retour aux racines en quelques sortes. À ce titre, Double Jeu est effectivement radical, premièrement dans la manière de composer et de créer l’environnement visuel pour et par un interprète, en prenant entièrement en compte son histoire, sa personnalité, son savoir-faire musical et instrumental et, surtout, ses propres envies. Le spectacle est alors radical dans sa représentation même : il n’est pas, comme souvent dans les musiques des XXe et XIXe siècles, une belle et virtuose exécution de la partition, « stricte réalisation d’une volonté explicite » pour reprendre les termes d’Igor Stravinsky, mais une réelle interprétation, personnelle et à chaque fois inédite, laissant parfois au violoniste la liberté d’improviser et de se mouvoir sur la scène. Radical, Double Jeu l’est aussi dans l’utilisation de l’électronique et des nouvelles technologies qui ne sont ici aucunement des outils figés imposant des contraintes rigides. Grâce à la technologie Antescofo, développée par une start-up française avec le partenariat de l’Ircam, l’interprète est libre dans son interaction avec l’ordinateur qui est ainsi capable de suivre ses désirs de changement de tempi, de nuances ou d’improvisation. Enfin, le triptyque est peut-être radical dans sa représentation publique, lors de laquelle le spectateur est immergé dans le son et l’image. Qu’il soit séduit, admiratif ou incompréhensif, il ne peut rester indiffèrent.
Être radical possède une autre définition, faisant référence à une attitude politique visant à des transformations profondes de la société. Double Jeu répond sans doute également à cette définition, en étant un retour à la racine du geste du créateur-interprète, par le travail collectif permettant un art total qui magnifie l’interprète-créateur, en tant qu’être musicien et surtout en tant qu’être humain à part entière.