Créer un site internet

Œuvres pour violon seul de Pisendel et Mulsant par Hélène Schmitt

Lorsque le baroque veut servir la création contemporaine

En 2013, la compositeur Florentine Mulsant (née en 1962) compose deux œuvres pour violon seul qu’elle dédie à la violoniste Hélène Schmitt, spécialiste du répertoire baroque et classique mais également friande de musique contemporaine. Cette année s’est apparemment présentée l’opportunité d’en publier l’enregistrement. Pour illustrer l’importance de l’œuvre pour violon seul – que la musicienne française présente et défend longuement dans le livret – et l’influence des formes du Baroque sur l’œuvre de Florentine Mulsant, Hélène Schmitt propose en première partie de programme la Sonate en la mineur de Johann Georg Pisendel (1687-1755). Malgré les douze pages du livret, il semble que la raison qui a décidé du choix de cette sonate du compositeur et violoniste virtuose, konzertmeister de l’orchestre de la Cour de Dresde, reste entièrement libre à l’auditeur de l’imaginer, si ce n’est uniquement « le recours à un instrument monodique sans le secours du clavier », selon les mots du musicologue Lionel Pons qui participe à la rédaction du livret.

A l’écoute de l’interprétation de cette sonate, sans doute composée en 1716, il semble effectivement que son choix n’est motivé par aucune affinité particulière, si ce n’est d’enregistrer une œuvre qui reste relativement peu connue du grand public, et ainsi difficile à être comparée à d’autres versions. Il est toutefois évident que le travail d’Hélène Schmitt autour de cette œuvre n’est pas à la hauteur des talents qu’elle a démontrés lors de ces enregistrements précédents. Dès le Largo, la violoniste perd l’auditeur dans un discours incompréhensible. Pourtant, ce numéro lent permet assurément à l’interprète de s’épancher avec simplicité dans un enchainement de phrasés naturel, sensible et clair. Il n’en est ici absolument rien. Le vibrato nerveux semble être un maquillage qui cache bien plus qu’il ne sublime, laissant néanmoins entendre une justesse systématiquement trop basse, des double et triple cordes désagréables et des démanchés glissées comme s’ils n’étaient pas préparés. On en vient vraiment à se demander si ce n’est pas une captation d’un simple déchiffrage de la partition. En connaissance des superbes enregistrements qu’Hélène Schmitt a pu présenter, cette explication semble la seule plausible. Le mouvement suivant Allegro déçoit tout autant : la reprise de la première partie semble plus assurée, comme pourrait l’être une deuxième lecture. Cependant, aucune ornementation – hormis les quelques-unes indiquées sur l’édition Barenreïter – ne manifeste une quelconque appropriation musicale et technique de ce mouvement, aux allures pourtant de liberté et d’espièglerie. Non seulement il ne semble qu’il n’y ait aucun prise de conscience d’une direction, ni des phrasés ni du mouvement dans son entier, il apparaît également qu’il n’y ait même pas de stabilité dans le tempo choisi – qui reste assez sage pour un Allegro. Celui de la Gigue n’est pas plus régulier, empêchant toute compréhension du discours musical, lui enlevant alors toute sa fierté et sa légèreté dansée ou chantée – les deux sont pourtant imaginables. Il est même fort désagréable d’entendre les triples cordes, qui n’ont aucune justification musicale – dans l’interprétation, car l’écriture de Pisendel reste tout à fait cohérente. Les Variations sont également privé de toute écoute agréable, perdant toutes leurs brillances à cause d’une lecture pesante et parfois même hasardeuse, particulièrement dans la justesse des aigus, les démanchés et les motifs manquant cruellement de fluidité.

Fort heureusement, les deux œuvres de Florentine Mulsant ont été travaillées avec la compositeur et font preuve d’une bien meilleure exigence dans le travail et l’interprétation. Dans la Sonate de concert n°2, les doubles cordes pourraient certes être davantage soignées, mais la direction des phrasés de la Chaconne sont très appréciables, la musicienne sachant emmener l’oreille de l’auditeur là où la musique veut qu’elle aille. L’interprétation aurait toutefois pleinement convaincante s’il y avait davantage de mouvement. L’écriture jouant subtilement avec les contrastes, les pizzicati sourds amplifient le legato de l’archet. Après l’intimité grave de l’Aria, le Final montre un caractère malicieux et généreux, mais jamais démonstratif. La Fugue de la Suite est également empreinte d’un caractère franc et à la fois sensible et raffiné, comme l’a souvent montré auparavant Hélène Schmitt, tout comme dans le Chant délicat qui suit. Encore une fois, l’interprétation manque d’un certain mouvement qui serait force de propositions.

Malgré une interprétation de Sonate en la mineur de Pisendel particulièrement décevante, Hélène Schmitt sait défendre dans cet enregistrement les deux œuvres pour violon seul de Florentine Mulsant dont elle est dédicataire. Les connaisseurs et admirateurs de la violoniste sauront peut-être y trouver leur plaisir mais il est certain que le manque de propositions audacieuses et nouvelles ne saura pas trouver un public nouveau, habitué à l’originalité des personnalités et à l’appropriation pétillante des répertoires anciens.

Programme

Johann Georg Pisendel (1687-1755)

Sonate en la mineur pour violon seul sans basse

Largo, Allegro, Gigue et variations

Florentine Mulsant (née en 1962)

Sonate de concert n°2 op.45 pour violon solo

Chaconne, Aria, Final

Florentine Mulsant

Suite op.50 pour violon solo

Prélude, Fugue, Chant, Final

Référence discographique

Œuvres pour violon seul \ J.G. Pisendel \ F. Mulsant ; Hélène Schmitt, violon – Paris : Maguelone music, C 09/2018 – 1 CD (56min 22 sec) + livret (28p.) de H. Schmitt et Lionel Pons en français et en anglais, trad. Kristi Jaas – enregistré en février 2016 en l’Abbaye de Port-Royal des Champs. – Didier Henry, direction artistique ; D. Brouillet, prise de son. – MAG 358.408