Lundi 30 octobre 2023

Aujourd’hui est un vrai jour d’automne. Un jour triste et pluvieux. Un jour pour rester dans son lit ou aller s’enfermer dans un cinéma ou un musée. C’est donc tout naturellement que je trouve la motivation pour prendre le bus, direction le musée du Louvre.

Port de mer au soleil couchant / Claude Gellée– salle 827

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Description générée automatiquementL’envie me viens de reprendre où je m’étais arrêté la fois dernière, aux peintures françaises. Je m’y rends sans savoir encore si je trouverais une thématique particulière pour la visite du jour. Lors de mon analyse rapide des tableaux, mes yeux se laisse attirer par un soleil flamboyant. Ce n’est pas la première fois que cette lumière crépusculaire m’intrigue, avec son reflet sur l’eau mouvante de la mer. Je m’approche du tableau de Claude Gellée. Stupéfaction ! Ce soleil qui me séduisait tant n’est qu’une vulgaire tâche jaune, sans aucune texture ni même de charme. Pire, il est entouré de petites tâches vertes informes, comme de petites moisissures en formation. En regardant ce détail, ce qui m’était si intriguant auparavant me devient laid. De loin, c’étaient aussi les bâtiments aux allures antiques, typiquement romains, qui me charmaient. Mais de près, je me rends compte qu’il y a un tout autre intérêt : il y a une multitude de personnages et tout autant d’histoires. A gauche, une jeune femme se fait courtiser par un luthiste (ou est-ce une longue mandoline ?) ; elle l’écoute attentivement, avec son air juvénile et un peu maladroite, ne sachant pas vraiment comment réagir. On ne voit pas le visage de son courtisan, de dos et dont les cheveux longs et bruns sont cachés par un chapeau à plume. Il porte de la dentelle et ses chaussures sont élégantes. C’est sans doute un homme de bonne famille. A côté, une femme et un enfant regardent deux ivrognes lutter. Malgré le regard désapprobateur de la femme, l’enfant semble prendre plaisir à commenter cette action. Ces quatre personnages sont assis sur des malles et des instruments à cordes sont posés à même le sol. Ce sont peut-être une petite troupe de musiciens. Rien à voir avec une bonne famille… Cela n’enlève rien à son indéniable charme ! Alors que les deux matelots se tirent les cheveux, l’un étant à terre, un de leurs deux supérieurs est prêt à sortir son épée pour les séparer. L’autre écoute avec lassitude un troisième matelot qui semble expliquer la situation. Inattentifs à cette vulgarité de marins, un marchand étranger est en train de vendre une pacotille à un gentilhomme, qu’un autre salue de son chapeau. Il est amusant de voir ces scénettes et de s’imaginer leurs histoires. Leurs visages est bien plus détaillé que le soleil au loin, qui pourtant crée toute la lumière qui baigne le tableau. Les ombres des bateaux qui s’étirent sur le port donnent une couleur toute particulière à l’ensemble.

Le Concert / Nicolas Tournier – salle 829

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Description générée automatiquementJe ne peux m’empêcher de jeter de nouveau un coup d’œil à la fascinante chevelure d’Adonis mort de La Hyre, poursuivant néanmoins mon chemin à la salle suivante. Je me sens l’audace de perturber Le Concert, moment de musique intime d’une famille. Les regards sont tournés vers moi. Ils sont aussi fascinants qu’intimidants. On a vraiment l’impression de les gêner. Le luthiste me regarde droit dans les yeux. Il ne paraît pas fâché, plutôt malicieux. Chose étrange, lorsque je me laisse plonger dans son regard, j’ai l’impression que sa main droite va bouger et se mettre à gratter les cordes. J’insiste mon propre regard et, merveille ! c’est comme si ses doigts se mettaient en mouvement. Il suffit que je me laisse intimider et à baisser les yeux pour que l’enchantement se rompt. La beauté de ce personnage et de son réalisme m’étourdit. Mais sans doute parlé-je trop : le violoniste semble s’impatienter et son regard est lourd de sens. Je dérange et il attend que je m’en aille. L’enfant est bien trop concentré pour que ma présence ne lui fasse quoique ce soit tandis que la claveciniste montre un regard encore plus sec. Le vieux violiste attend également, me regardant de côté avec une pointe de mépris et d’impatience polie. J’ai donc compris, je m’en vais…

Escalier Lefuel

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Description générée automatiquementLe deuxième étage de l’aile Sully est fermée le lundi. Déception. Je rebrousse donc chemin. Je traverse sans enthousiasme les salles des peintures de l’Ecole du Nord. Je trouve ces tableaux sombres, tristes, sans charme et surtout sans émotion. Cette lumière et ce réalisme m’ennuient. Je descends alors l’élégant escalier Lefuel, avec ses vitraux signés François Morellet pour traverser le département des objets d’art. C’est un étage qui m’émerveille sans pourtant m’émouvoir. Je me désole que l’échiquier dit de saint Louis, prêté par le musée de Cluny, n’ait pas eu droit à une attention rigoureuse quant au placement de ses pièces : celles en cristal de roche étant mélangés avec celles en quartz enfumé. Pas de partie possible si les blancs et les noirs ne sont pas dans leur propre camp en début de partie ! J’erre donc dans les salles du premier étage, que je pense trop connaître. Elles ne me suscitent plus l’intérêt d’antan.

Mort de Sardanapale / Eugène Delacroix – salle 700

Comme je suis venu pour vivre des émotions picturales, j’ose me rendre dans l’aile Denon. C’est toujours une idée moyenne de visiter cette aile saturée de touristes. Il faudrait que je revienne un jour à l’heure d’ouverture pour profiter véritablement des œuvres qui y sont exposées. Encore me souviens-je avoir vu des touristes courir dans la grande galerie pour être des premiers à voir la Joconde. Moi aussi, j’étais venu voir si elle en valait la peine dès l’ouverture. Il y avait déjà trop de monde pour un si petit tableau…

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Description générée automatiquementRécemment restauré et visible au Louvre, la Mort de Sardanapale de Delacroix attendait que je puisse l’admirer. Les contrastes des lumières et des couleurs, de la richesse du sultan et du désespoir de ses concubines condamnées, sont assez saisissants. La peur qui déforme les corps de ces femmes alors que les eunuques et officiers de Sardanapale les assassinent avec un regard plein de rage, tandis que lui-même reste nonchalamment à demi couché, attendant que le feu ne le prenne avant que ce ne soit l’ennemi dont on aperçoit l’avancée meurtrière au loin, est une scène violente qui ne laisse pas indifférent La débauche et l’égoïsme de cet homme tout-puissant dégoûte et révolte.

Mais apprécier ce moment serait oublier les touristes. Il y en ici deux cas horripilants. Le premier qui se croit seul et, se campant juste devant moi pour prendre le tableau en photo, n’hésite pas à reculer sur mes pieds sans s’excuser. Le second, moins gênant mais non moins étrange, parcours sans un regard les salles avec son petit appareil enregistrement d’images (une sorte de GoPro à main). Il admirera les œuvres plus tard, une fois rentré à la maison et devant ses amis…

La flagellation du Christ / Le Caravage – Grande galerie du bord de l’eau

Depuis quelques mois déjà, le musée du Louvre fait un échange avec le musée de Capodimonte à Naples, permettant de découvrir différemment les peintures italiennes. A cette occasion donc, il est possible d’admirer une œuvre du Caravage, La Flagellation du Christ. Une œuvre évidemment percutante, le style du peintre illuminant la figure du Christ qui, dans une posture aussi élégante que soumise, souffre le martyr sous les coups de haine de deux hommes aux visages grimaçant. Le Christ apparaît beau tandis que les hommes mauvais sont d’une laideur repoussante. Ils ont beau avoir des vêtements, ils ne savent pas les porter. Le Christ, lui, n’a qu’un léger drap pour couvrir sa pudeur qui pourtant reste bien en place et l’habille bien davantage que ces pauvres malheureux. Ils sont dans l’ombre ; le Christ illumine sa propre présence qui se diffuse jusque nous-mêmes, visiteurs-admirateurs.

Pourtant, nombre d’entre eux semble harassé par une longue visite dans les innombrables salles du musée, avachis sur les confortables bancs de la Grande galerie, sans toutefois lâcher les yeux de leurs écrans. Pour ma part, c’est tout ce bruit, tout ces gens, tout ce mouvement perpétuel qui me fatiguent et m’empêchent d’apprécier les œuvres.

Apollon et Marsyas / Jusepe De Ribera – Grande galerie

 Je me laisse toutefois séduire par une autre œuvre prêtée par le musée de Capodimonte, on l’on peut voir à la fois la beauté, la laideur et la cruauté en un regard : Apollon et Marsyas. Deux versions sont proposées mais c’est celle de De Ribera qui m’attire. Tandis qu’Apollon est évidemment beau, éternellement jeune, il se montre dans le même temps terriblement cruel envers le satyre Marsyas. Il est vrai que ce dernier n’a pour lui que la laideur. Il croyait pourtant pouvoir rivaliser avec le maître incontestable de la musique dans son propre domaine. La prétention ne lui allait pas mieux et il e paie le prix, étant écorché vivant par l’imberbe et impitoyable dieu des arts. Nous ne sommes pas les seuls horrifiés. Nous, on préfère regarder Apollon et sa superbe cape rose qui se laisse porter par le vent.

Les fêtes vénitiennes / Francesco Guardi – salle 723

On se laisse se reposer dans une des petites salles, tout au bout de la Grande galerie, où la foule ne se presse pas. Je l’entends, de l’autre côté du mur. J’entends ses pas, j’entends ses paroles. J’entends surtout la soufflerie qui travaille à renouveler l’air de ces centaines de personnes. Devant la série des tableaux de Francesco Guardi, je me replonge dans mes souvenirs de Venise. Les lumières sont fidèles aux couleurs tendrement chaudes de la Sérénissime. Un léger flou anime les traits du peintre, y apportant une vie que nous pourrait offrir une photographie.

Je me surprends à me retrouver dans la salle 726, vide de toute œuvre. Deux bancs semblent inviter au repos tranquille tandis qu’un escalier mène à la vue sur les jardins du Carrousel. L’envie n’est plus là. Je repars.