Médiation musicale

La médiation musicale

Passionné de mon instrument, le violon, et du quatuor à corde, je produis actuellement un spectacle, fondé sur mon arrangement pour quatuor à cordes du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns[1]. Ce projet me tenant à cœur – et ayant une importance non négligeable dans la validation de ma formation universitaire –, il m’était important avec d’étudier la pertinence du projet dans son contexte socio-culturel. Je me permets ici de vous partager mes réflexions à propos d’un projet qui se veut promouvoir une œuvre de musique savante occidentale et du quatuor à cordes auprès d’un jeune public. En plus bref, son objectif est de donner au jeune public accès à l’art, en l’occurrence plus particulièrement la musique.

Pour justifier et comprendre les motivations du projet, il nous faut questionner ses fondements même : l’éducation artistique est-elle nécessaire ? En quoi le jeune public est-il important ? Quelles sont les particularités de ce public et le projet doit-il s’en adapter ?

Afin de répondre à ces problématiques, j’ai étudié brièvement ce qu’est l’Art dans notre société, ensuite la notion de médiation artistique, sa définition et sa fonction, puis le jeune public, qui est au cœur du projet du « Carnaval des animaux pour quatuor à cordes et récitant ».[2]

L’Art dans la société

Tout d’abord, il nous semble important de rappeler la fonction essentielle de l’Art dans la société, particulièrement la nôtre occidentale[3]. La source de notre problématique est la confrontation entre l’être individuel et l’être membre d’une communauté, organisée en société. Cette organisation nécessite des règles qui sont parfois en décalage avec le désir de liberté de l’être individuel. Au-delà de ces règles, l’idéal de chaque individualité est aussi confronté à la réalité de l’espèce humaine et du monde. La vie et le temps, par notre environnement et notre éducation, façonne l’être pour qu’il corresponde au moule universel imposé par notre société, pour sa propre survie[4].

L’Art est l’outil qui permet à la fois ce modelage au vivre-ensemble[5] et d’affirmer sa propre identité, en tant que membre d’une communauté et en tant qu’être individuel. Car l’artiste se veut être un être qui a réussi à s’extraire des contraintes d’une société, tout en évoluant au sein de celle-ci. Mais en réagissant face à son œuvre et en faisant réagir ses semblables par son œuvre, il active la raison, exerce la vision rationnelle sur le monde et ainsi notre esprit critique, jusqu’à remettre en question parfois notre propre existence et la manière dont nous la vivions. C’est aussi un moyen de retrouver notre recherche de la beauté idéale, par la contemplation et la recherche de l’harmonie.

L’Art est donc un outil stabilisateur de la société, et est à ce titre un outil politique à part entière, et aussi un moyen d’affirmation de l’être individuel, de sa propre et profonde identité, en lui permettant son épanouissement au sein de la société dont il est partie intégrante, malgré sa différence.

La médiation

Nous l’avons vu précédemment, l’art est en interaction avec la société dans laquelle politique, culture et espace public tissent entre eux des liens.

Nous pensons qu’il est possible de distinguer trois types de projets artistiques : ceux professionnels pour un public, ceux par un public amateur et ceux avec un public. Nous considérons que ce dernier type de projet est de la médiation. Correspondant à un impératif à la fois social et politique, il nécessite une préparation toute particulière, pédagogique et artistique.

La médiation a pour objectif premier d’ouvrir la culture à une population qui n’a pas reçu les clefs nécessaires à son accès. Il s’agit donc ici d’une politique de démocratisation qui cherche à éloigner l’aspect élitiste que l’on associe souvent au monde de la culture. Ainsi, la médiation culturelle est une priorité politique, s’inscrivant dans le développement de l’action culturelle. Elle est même un fondement de la République française, présente dès le préambule de la Constitution française[6], ainsi que dans les traités européens[7]. L’objectif en est la démocratisation culturelle, une philosophie centrale dans le modèle français de politique culturelle mis en place sous André Malraux au ministère des Affaires culturelles dans les années 60.

Récemment les événements de janvier 2015 ayant ébranlé les valeurs de la République ont renforcé la volonté du gouvernement à favoriser l’éducation, dont l’accès à la culture à tous et la pratique de celle-ci est un élément essentiel. En effet, l’éducation artistique et culturelle le principal vecteur de connaissance du patrimoine culturel et de la création contemporaine, et de développement de la créativité et des pratiques artistiques. Cette éducation permet l’apprentissage des valeurs du vivre-ensemble, de tolérance et de l’esprit critique. Citons à ce sujet la ministre de la culture et de la communication Fleur Pellerin : « Grâce à la culture, nous préparons le monde pour les générations futures. C’est pour cela que personne ne doit demeurer à l’écart de cette culture, car c’est elle qui assure la cohésion de notre communauté nationale. »[8]

La médiation artistique est une véritable rencontre artistique entre deux mondes, l’un professionnel et l’autre amateur, l’un initiés et l’autre non-initiés. Elle ne concerne pas qu’un seul public, mais tous les publics, se tournant vers toutes les générations et membres de la société[9].

Le Jeune public

Nous avons vu que l’Art est un élément essentiel de la vie en société et que la médiation est l’outil de transmission entre l’artiste et chaque être citoyen. Bien que la médiation se veuille toucher tous les publics, il en est un qui est tout particulier et dont l’attention doit en être alors toute particulière : le Jeune public. Par « jeune » nous entendons le public mineur, de moins de 18 ans, et plus particulièrement les élèves des cycles I et II (classes primaires, de 3/5 ans à 12 ans).

En effet, les enfants sont en pleine période d’apprentissage intense[10], encore vierges du modelage de la société, ignorants des vices de l’espèce humaine et des injustices du monde face auxquels il nous faut développer des systèmes de défense, plus ou moins bons selon notre environnement et notre éducation. Un des objectifs premier est de préparer les jeunes élèves à vivre en société et à devenir des citoyens accomplis et responsables, en connaissance de leurs droits et de leurs devoirs. L’Art a donc toute sa place dans cette formation, en stimulant les jeunes générations à l’imaginaire et à la sensibilité, ainsi qu’à développer leur esprit critique et leur jugement. De plus, l’Art n’est pas qu’un outil politique, il est aussi un outil pédagogique efficace et reconnu[11]. Il fait appel aux sens (ad minima la vue et l’ouïe), au développement d’aptitudes motrices et cognitives[12]

L’objectif de la médiation culturelle pour le Jeune public est de faire rencontrer l’Art et l’enfant, par la découverte et la pratique artistique. C’est même une priorité politique, particulièrement après les attentats de janvier 2015 et la loi de refondation de l’école qui instaure le « parcours d’éducation artistique et culturel » (EAC). Car l’éducation artistique et culturelle est le principal vecteur de connaissance du patrimoine culturel et de la création contemporaine, et de développement de la créativité et des pratiques artistiques[13].

Parce que la médiation est une démarche pédagogique et collabore fréquemment avec les établissements scolaires[14], elle nécessite une préparation. Elle peut être certes organisée en un travail au moyen terme (préparation pédagogique à la représentation) mais est certainement plus intéressante et efficace sur un travail au long terme (par exemple un travail sur l’œuvre et les instruments en amont de la représentation, travail en aval de la représentation avec notamment une pratique encourageant création, fondé sur cette même représentation).

 

[1] Les partitions sont éditées par les Editions A Piacere. Plus de renseignements sur www.editionsapiacere.com.

[2] Cette brève étude se fonde sur des ouvrages et des textes officiels, ainsi que sur des propos d’acteurs et partenaires de mon projet.

[3] Nous ne traiterons pas ici de l’Art dans les autres sociétés, bien qu’il soit bien présent, mais dont la fonction et la pratique diffère, légèrement certes mais suffisamment pour les différencier.

[4] « Il faut du temps pour s’accoutumer à l’espèce humaine, telle que l’intérêt, l’affectation, la vanité, la peur nous l’ont faire. L’étonnement de la première jeunesse, à l’aspect d’un société si factice et si travaillée, annonce plutôt un cœur naturel qu’un esprit méchant. Cette société d’ailleurs n’a rien à en craindre : elle pèse tellement sur nous, son influence sourde est tellement puissante, qu’elle ne tarde pas à nous façonner d’après le moule universel. » CONSTANT (Benjamin), Adolphe, coll. « Folio classique ».

[5] « L’art doit avant tout embellir la vie, donc nous rendre nous-mêmes tolérables aux autres et agréables si possible : ayant cette tâche en vue, il modère et nous tient en brides, crée des formes de civilité, lie ceux dont l’éducation n’est pas faite à des lois de convenance, de propreté, de politesse, leur apprend à parler et à se taire au bon moment » NIETZSCHE (Friedrich), Humain, trop humain, Paris, Mercure de France, 1906, p.109.

[6] « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, la formation professionnelle et à la culture. » Alinéa 13 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

[7] « L’Union contribue à l’épanouissement des cultures des Etats membres » Article 167, alinéa 1, Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, 2012.

[9] « Je pense que la priorité devrait se tourner vers chaque génération. D'ailleurs nous le rencontrons dans certaines entreprises où des moyens sont donnés aux salariés, afin de se former, de s’extérioriser, d'apprendre à mieux se connaître, connaître les autres, et de ce fait, mieux se respecter et respecter les autres. » Entretien d’O. Arnoux, musicien intervenant en écoles.

« Je pense qu'il est important de partager la musique avec n'importe quel public, c'est notre rôle premier en tant que musicien. » Entretien de J. Schneider, violoncelliste.

[10]  « Il est plus simple d'aborder le jeune public, car il est dans un contexte d'apprentissage. C'est sa vocation du moment, il est très réceptif. Ce qui nous fait nous tourner prioritairement vers lui. » Entretien avec O. Arnoux.

[11] Des études montrent que la pratique artistique en classe diminue les problèmes de comportement, constitue un moyen efficace pour atteindre les élèves éprouvant des problèmes d’apprentissage et permet aux élèves de mieux exprimer leurs apprentissages et leur réussite. De plus, cette pratique constitue aussi un moyen efficace d’accroître la participation parentale dans les écoles, et ainsi leur participation à l’éducation homogène et pertinente de l’enfant.

Source : Upitis, R., The effects of an enriched elementary arts program on teacher development, artist practices, and student achievement: Baseline student achievement and teacher data from six Canadian cities, International Journal of Education and the Arts, 2001.

[12] « La musique est très importante pour leur développement personnel. Cela développe l’écoute, la mémoire, la coordination... » Entretien de N. Saintandré, violoniste.

[14] « Il faut entrer dans les écoles, faire connaitre les instruments de l’orchestre, enseigner de visu cette musique. C’est la musique qui doit aller aux enfants et non l’inverse car les adultes ne sont pas assez initiés pour emmener les enfants. » Entretien de J. Hutin, musicienne intervenante en écoles.

Cette collaboration se fait aussi avec d’autres structures à visées pédagogiques et culturelles, telles certaines associations, Maisons de la jeunesse et de la culture (MJC) et médiathèques. Ces dernières sont justement un lieu privilégié de la médiation. « Selon le Manifeste de l’UNESCO, une médiathèque de lecture publique a pour mission : de s’adresser à tous sans distinction d’âge, d’origine, sociale et culturelle ; de transmettre des savoirs et de l’information (donner accès à l’actualité en assurant une pluralité des points de vue pour développer l’esprit critique) ; de donner l’accès à la culture sous toutes ses formes (création artistique et culturelle) ; de permettre la formation tout au long de la vie dans tous les domaines de la connaissance. » Entretien avec C. Guesneau et R. Branjon, responsables de la médiathèque de Brindas.

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